Tout est objet de reflexion. Seulement, il faut oser etre sage (Vita est sapere aude)! Mwalimu Ladislas Katsuba Kinyali est Licencié ès Lettres (Philosophie) et est Chef de Travaux depuis le 15 octobre 2006 (N/Réf. : 729/MINESU/CAB.MIN/LM/AB/2006). Il est fils ainé d’une grande famille chrétienne ; il est marié et père de trois enfants. Il fait actuellement un master en Politique Comparée et Africaine (2011-2013). Pour le contacter par téléphone, il faut l’appeler aux numéros : +243 998492735 et +243 817706666.
15 Avril 2013
Sans beaucoup de détails, Olivier Bain affirme qu’avant 1914, les expériences les plus positives de colonisation agricole furent celles des Allemands au Cameroun, où l’activité des sociétés de plantation crées à la fin du siècle contrastait avec l’échec de leurs compagnies concessionnaires voisines (Bain).
Cependant, parmi les atrocités qui ont plus marqué la présence des Allemands sur le sol africain, nous citons notamment et surtout le massacre des hereros ("Les formes du déni", ENS -Paris IV-Sorbonne, séance du 6 janvier 2001, et à laquelle Tristan Mendès-France[1] avait participé).
Le général des troupes allemandes [en Namibie], Lieutenant général Lothar Von Trotha, envoie cette lettre au peuple Héréro le 2octobre 1904: "Les Héréros ne sont dorénavant plus sujets allemands… Tous les Héréros doivent quitter leurs terres. S'ils n'acceptent pas, ils seront contraints par les armes. Tout Héréro aperçu à l’intérieur des frontières allemandes [namibiennes] avec ou sans arme, sera exécuté. Femmes et enfants seront reconduits hors d’ici – ou seront fusillés… Aucun prisonnier mâle ne sera pris. Ils seront fusillés. Décision prise pour le peuple Héréro.”
C’est par cet ordre que les autorités coloniales allemandes décidèrent l’extermination de tout un peuple. Nous sommes en 1904 dans le sud-ouest africain, région que l’on nomme aujourd’hui la Namibie.
Aux origines du génocide
Avant même le Togo ou la Tanzanie qui figurent parmi les toutes premières colonies allemandes datant de 1884, la Namibie a vu dès 1870 l’arrivée d'une poignée de colons allemands qui formeront très tôt une solide communauté.
En janvier 1894, de fantastiques gisements de diamants furent découverts en Namibie. L’Allemagne d’Otto Von Bismarck réalisa qu’il y a là un extraordinaire potentiel financier. Le Major Théodor Leutwein fut alors envoyé sur place en tant que suprême représentant des Terres Africaines allemandes. Peu après, une politique de déplacement et de confiscations systématiques des terres fut initiée dans le Héréroland (Région centrale namibienne où vivent les Héréros). De multiples actes de violences et d’exécutions sommaires furent alors commis par les autorités coloniales allemandes.
Le harcèlement colonial devenant insupportable pour la population locale, une tentative de rébellion du peuple héréro fut conduite par le Chief Samuel Mahéréro en janvier 1904. On dénombra plusieurs dizaines de morts de part et d’autres. La rébellion arriva aux oreilles du Kaizer Guillaume II qui décida de limoger sur le champ le Major Leutwein, - considéré comme “trop faible”- pour lui substituer un homme dur, expérimenté et “extrêmement résolu” : le général Lothar Von Trotha.
Le changement de politique militaire ne se fit pas attendre : le 2 octobre 1904 avec 10 mille hommes, le général Von Throta força les héréros dans le désert d’Omaheke (l’actuel désert de Khalarari), ferma les frontières et envoya ses troupes sur une population sans défense et déjà accablée par la soif ou les maladies infectieuses. Sur 80 000 Héréros que comptaient la Namibie, 10 000 survécurent tant bien que mal. La civilisation Héréro venait quasiment de disparaître.
Génocide héréros : première répétition avant l’holocauste
Le célèbre docteur Eugène Fisher, anthropologue à l’université de Freibourg, et un des principaux théoriciens du génocide juif, étudia de près les héréros depuis leur découverte par les colons allemands en 1870. Il fut particulièrement intéressé par les " méfaits " de la mixité raciale induite par les rapports héréros-allemands –résultant le plus souvent de violences sexuelles pratiquées par les militaires teutons. Travaux qu’il poursuivra dans les camps de concentration héréros en Namibie jusqu’aux événements de 1904. Le généticien racialiste publia conséquemment en 1921 " The principles of Human Hereditary and Race Hygien" dans lequel il élaborait ce que l’idéologie nazie n’allait pas tarder à mettre en pratique sur une tout autre échelle. On rapporte qu’en 1923 Adolf Hitler lors de son emprisonnement lut avec grand intérêt les travaux de Fischer et en fut fort influencé lors de la rédaction de Mein Kampf. Hitler au pouvoir, le docteur Fischer ami intime d’Heidegger, fut d’ailleurs très vite promu recteur de l’université de Berlin et dès 1934 donna ses premiers cours racialistes aux docteurs SS. Un de ses étudiants n’étant autre que le criminel contre l’humanité et tristement célèbre Mengele. Fisher fut de 1927 à 1942 directeur du prestigieux Kaiser Wilhelm Institute for anthropology et resta jusqu’à sa mort à Freibourg en août 1967, membre d’honneur de la prestigieuse association anthropologique allemande…
La reconnaissance génocidaire aujourd’hui
L’Allemagne fut interpellée à plusieurs reprise sur le sujet. Reconnaît-elle la réalité des atrocités passées ? À ce jour rien n’est moins sûr.
Déjà en 1995 le président Kohl sommé de s’exprimer sur le génocide par des familles héréros lors d’une visite diplomatique, refusa de se prononcer. Roman Herzog aura une posture plus ouverte en 1998 en admettant l’existence "d’actes incorrects ". Geste limité puisqu’il objectera que toute action judiciaire est impossible, du fait qu’à l’époque aucun texte légal ne permettait de qualifier juridiquement l’extermination. L’argument semble pourtant omettre la 4ème convention de la Haye de 1899 sur la protection des populations civiles.
Après ces tergiversations diplomatiques, les représentants héréros décidèrent de faire appel à la communauté internationale. L’objectif étant d’alerter les instances internationales sur le génocide oublié et permettre aux Héréros une reconnaissance symbolique essentielle à leur reconstruction identitaire. En 2004, le gouvernement allemand présenta d'ailleurs des excuses officielles, en évoquant le caractère génocidaire de cette répression.
Les enjeux d’une reconnaissance
Il y a dans cet épisode une leçon importante à tirer. Si le premier génocide du siècle a eu lieu en Namibie, c’est qu’il est apparu dans l’espace colonial. C’est donc le procès du colonialisme qui se joue à travers la cause Héréro. Il faut rappeler à travers l’extermination Héréro que le colonialisme fut la soupe originelle qui a permis le déclic psychologique ouvrant la porte aux génocides majeurs de notre temps. Il est par conséquent essentiel de reconnaître cet épisode, de le réintégrer dans l’historiographie du XXe siècle et de tirer les origines des génocides dans l’espace colonial. La reconnaissance du génocide Héréro devrait pouvoir nous y aider. Mais, alors, que dire globalement de la décolonisation de l’Afrique ?
[1] Tristan Mendès France, né à Bordeaux le 7 mars 1970, est un blogueur français, auteur et réalisateur multimédia, enseignant dans le domaine des nouvelles cultures numériques. Il est le fils de l'universitaire Michel Mendès France et le petit-fils de Pierre Mendès France. Il passe en 1995 une maîtrise de droit public à l'Université Paris 1, puis s'oriente vers des études de science politique à la Sorbonne où il se spécialise en politique et en nouvelles technologies de la communication. Il passe un DEA de science politique en 1996 et commence une thèse (qu'il n'achève pas) sous la direction de Lucien Sfez, au CREDAP (Centre de recherches et d'études sur la décision administrative et politique ; anciennement hébergé par l'Université de Paris I jusqu'à sa fermeture). Il a été l'assistant parlementaire du sénateur PS Michel Dreyfus-Schmidt de 1998 à 2008. Il est depuis fin 2008, intervenant au CELSA, où il délivre des cours aux Master 1 et 2 sur les nouvelles cultures numériques. Il est chargé de cours à Paris 7 (Diderot) en licence depuis février 2011 sur la même thématique et délivre des formations « web2 » à l’École des Métiers de l'information à Paris depuis 2009.