Tout est objet de reflexion. Seulement, il faut oser etre sage (Vita est sapere aude)! Mwalimu Ladislas Katsuba Kinyali est Licencié ès Lettres (Philosophie) et est Chef de Travaux depuis le 15 octobre 2006 (N/Réf. : 729/MINESU/CAB.MIN/LM/AB/2006). Il est fils ainé d’une grande famille chrétienne ; il est marié et père de trois enfants. Il fait actuellement un master en Politique Comparée et Africaine (2011-2013). Pour le contacter par téléphone, il faut l’appeler aux numéros : +243 998492735 et +243 817706666.
25 Avril 2008
L’histoire nous enseigne que le Moyen-âge est une période caractérisée par le christianisme. Contrairement à l’Antiquité païenne, et notamment de l’Antiquité gréco-latine, le christianisme vient affirmer la transcendance divine. Une notion primordiale tirée de la Bible est celle de la souveraineté. Pour les chrétiens, la souveraineté est une propriété de Dieu et non de l’homme. « Toute autorité vient de Dieu ». La notion d’autorité sera subordonnée à la grâce divine.
Le Moyen-Âge propose un système politique fondé sur l’idée d’une communauté constituée par Dieu et correspondant à l’humanité totale.
Deux figures apparaissent au Moyen-Âge en matière de politique chrétienne : St Augustin (d’inspiration platonicienne) et St Thomas d’Aquin (d’inspiration Aristotélicienne).
1. SAINT AUGUSTIN OU LA CITE DE DIEU
Né à Thagaste (dans la Tunisie actuelle) en 354 d’un père païen et d’une mère chrétienne, Sainte Monique, Augustin est doué d’une nature extrêmement riche et d’un tempérament passionné. Après une jeunesse studieuse mais en même temps licencieuse (qui manque de pudeur), il devient Professeur de rhétorique successivement à Thagaste, à Carthage, à Rome et à Milan. Elevé chrétiennement par sa mère, mais non baptisé (car on ne baptisait pas les enfants, à cette époque, qu’en danger de mort) Augustin était passé au Manichéisme (conception du bien et du mal comme deux forces égales et antagonistes) vers l’âge de vingt ans, puis il avait adopté le scepticisme (doctrine selon laquelle l’esprit humain ne peut atteindre aucune vérité générale) de la Nouvelle Académie. A Milan, la lecture de Plotin lui révèle le monde spirituel et l’oriente de nouveau vers le christianisme. Sous l’influence de S. AMBROISE, il se convertit au catholicisme en 386 et reçoit le baptême en 387, à l’âge de 33 ans. Il renonce à sa profession de rhéteur et se retire à la campagne avec sa mère, son fils ADEODAT et quelques amis. Il se décide de rentrer en Afrique, mais MONIQUE meurt à Ostie (fin 387) et AUGUSTIN retarde son départ jusqu’à l’été de 388. Rentré à Thagaste, il devient prêtre en 391 et, en 395, coadjuteur du vieil évêque d’Hippone, auquel il succède en 396. Il meurt en 430, âgé de 76 ans.
A. Idées politiques de Saint Augustin
Il est aux yeux de Saint Augustin que l’Eglise doit être en harmonie avec l’Etat. Il apparaît dans l’histoire de l’humanité au moment où les païens rendaient constamment le christianisme responsable des malentendus au sein de la cité, soutenaient la thèse selon laquelle c’est la religion qui a affaibli et ruiné l’Etat, que si le maintien de culte des idoles n’avait pu sauver Rome de la décadence, il aurait au moins assuré la félicité future à ceux qui lui restaient fidèles...
Saint Augustin cherche à écarter ces alibis en montrant que le christianisme n’est en rien responsable des maux qui frappent l’empire et sa capitale. Pour lui, l’élément capital pour la destruction d’une cité c’est l’injustice. Lorsque le peuple est divisé, il est corrompu et exposé à beaucoup de maux.
De là nous comprenons qu’il pourrait y avoir des hommes de bien et des hommes de mal ; d’où l’existence de deux cités : celle du bien (cité de dieu) et celle du mal (la cité terrestre).
a) La cité de Dieu : c’est celle qui représente des citoyens unis dans la charité, serviteurs mutuels les uns des autres, sujets obéissants, celle du règne de la justice, du droit et d’amour. Ici se vit l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi ; l’on se glorifie dans le Seigneur. Les chefs décident et les sujets obéissent en se dévouant les uns aux autres par charité. Le sujet, dans cette cité, dit à son Dieu, je t’aimerai, Seigneur, toi qui es ma force…
b) La cité terrestre : c’est celle de l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu, où l’on se glorifie en soi-même, où l’on recherche la gloire auprès des hommes (dans les chefs) animés par la passion de dominer. Les gouvernants aiment leur propre force,…
Doit-on alors confondre la cité humaine et l’Etat, la cité de Dieu et l’Eglise ? Il n’y a pas quatre cités dans la société, mais deux, c'est-à-dire deux sociétés composées l’une de bons, l’autre de méchants. Et toutes les deux sociétés coexistent dans la grande société humaine.
Chez St AUGUSTIN, seul Dieu mérite d’être honoré car il est le seul juste. L’homme ne doit pas régner sur son semblable, libre comme lui, crée par Dieu à son image et doté d’une âme. L’homme n’a en lui-même aucune autorité sur les autres hommes.
C’est ainsi que les hommes sont appelés à faire alliance entre eux pour jouir de la paix, pour chercher la sécurité contre les dangers extérieurs. Les citoyens doivent se combiner pour former la famille qui est le noyau de la cité.
En cela, St AUGUSTIN fait appel à l’union des cœurs et des volontés. D’où, le pacte de société, engagements réciproques, droits reconnus, devoirs consentis (…) tout dans l’unanimité.
Le pouvoir a pour mission de faire régner la justice. Si le pouvoir s’éloigne de la justice, il est à craindre. Tout gouvernement sera acceptable à condition qu’en matière morale et religieuse, il respecte Dieu et respecte l’homme.
Dans sa politique, St UGUSTIN rêve, sur le plan terrestre, une humanité unie, mais fractionnée en petits Etats pour une collaboration facile avec l’Eglise. Ces Etats devront avoir pour finalité la paix de tous. « Quiconque observe les choses humaines et notre nature commune doit le reconnaître avec moi : de même qu’il n’est personne qui refuse la joie, de même il n’est personne qui refuse de posséder la paix. Car même ceux qui veulent la guerre ne désirent rien d’autre que la victoire ; il désirent donc parvenir, en guerroyant, à une paix pleine de gloire » (St AUGUSTIN, La lumière intérieure, Paris, P.U.F., 1965, p.212).
Cependant, la vraie paix, nous dit St Augustin, ne peut se trouver que dans la cité céleste. Rappelons-le, la cité céleste c’est celle dans laquelle les hommes sont unis dans la charité et sont des serviteurs mutuels les uns des autres.
B. SAINT THOMAS D’AQUIN OU LE GOUVERNEMENT MIXTE
1224 : Naissance à Aquino en Italie
1231 : entre chez les Dominicains, s’initie à la science arabe et au monde grec. Sa carrière universitaire se déroule entre la Sorbonne, Cologne et Rome. Il partage le courant qui secoue les structures de l’Eglise et les valeurs culturelles de son temps. Il y joint une foi inébranlable.
1264-1274 : il publie « La somme contre les Gentils » et « La somme théologique ».
1274 : il meurt en se rendant au concile[1] de Lyon où il était appelé comme expert.
La famille va s’opposer à son entrée au couvent. Il fut enlevé par ses frères avant son entrée au couvent et fut enfermé au château parental. Là, il dû surmonter de multiples tentations. Il se consacra, à sa sortie du château paternel, à « l’étude de la théologie dans l’ordre des Dominicains ».
Dans ses commentaires sur ARISTOTE, St THOMAS d’AQUIN rencontre l’œuvre : «La politique ». Sa carrière scientifique est entièrement consacrée à la Théologie et à la philosophie. Ses idées sur la politique apparaissent dans trois œuvres :
- Somme théologique : dans Ia IIae et IIa IIae (q 96 article 4) c’est là qu’il y a l’authenticité politique de St THOMAS.
- De regimine principium : cette œuvre est considérée par les historiens comme étant inauthentique. Elle aurait été écrite par un des disciples de St THOMAS : PTOLEMEE DE LUCQUES.
- De regno ad regem cupri : (au sujet de la royauté pour le roi de chypres). La première moitié de cette œuvre est de Thomas d’Aquin. La deuxième moitié est de PTOLEMEE DE LUCQUES.
A. La politique de Saint Thomas d’Aquin
Pour se développer et se parfaire, l’homme a besoin de vivre dans une société bien organisée pour sa sécurité contre les ennemis tant extérieurs qu’intérieurs. L’homme ne peut donc se passer de la société politique. C’est en cela que St Thomas affirme l’existence et la valeur de la cité. La communauté politique, chez St Thomas d’Aquin, est formée d’individus qui demeurent libres dans une société plus grande dont ils sont les membres vivants.
Le pouvoir politique est nécessaire. L’Etat a besoin d’être organisé pour le bien-être du peuple. L’autorité supérieure commande à chaque membre de la société en vue du bien commun. Cette autorité vient de Dieu, l’auteur de la nature, et passe par le peuple. « Le roi observera que Dieu gouverne le monde en conduisant tous les êtres vers leur fin et il s’efforcera par conséquent avant tout de conduire tous ses sujets vers la leur »(St THOMAS D’AQUIN, La justice, Paris, Ed., Desclée et Cie, 1947, p.365.
Quant au gouvernement, Saint THOMAS D’AQUIN va distinguer trois types : la monarchie, l’aristocratie et la démocratie.
- La monarchie : c’est le gouvernement du peuple par un seul ; et sa forme corrompue : la tyrannie, est l’oppression de tout ou partie du peuple par un seul.
- L’aristocratie : c’est l’administration du peuple par un petit nombre d’hommes vertueux ; et sa forme corrompue : l’oligarchie, est l’oppression de tout ou partie du peuple par quelques individus (c’est en somme une tyrannie de plusieurs)
- La démocratie : c’est le juste gouvernement de l’Etat par une seule classe nombreuse, comme celle des soldats par exemple ; et sa forme corrompue : la démagogie, est l’oppression d’une classe sociale par une autre, connue, par exemple lorsque le bas peuple, abusant de sa supériorité numérique, opprime les riches ; c’est donc en somme la tyrannie de la foule.
Quelle est alors la forme de gouvernement qui convient le mieux ? Une réponse valable ne saurait être fournie, nous dit St Thomas d’Aquin. Le cas pourrait être vu chez le peuple hébreu : « Au commencement, lorsqu’ils étaient gouvernés par les juges, les juifs étaient pillés de tous côtés par leurs ennemis parce que chacun ne faisait que ce qui lui semblait bon ; mais lorsqu’à leur demande, Dieu leur eut donné des rois, la malice de ces rois détourna le peuple du culte d’un seul Dieu et l’amena finalement à se trouver réduit en servitude. Il y a donc toujours péril de deux côtés, soit que l’on renonce à la meilleure forme de gouvernement, qui est la monarchie, par crainte de la tyrannie, soit qu’au contraire, par crainte d’y renoncer, on adopte un gouvernement monarchique au risque de le voir dégénérer en tyrannie » (St THOMAS D’AQUIN, Les Etats, Paris, Librairie Victor Lecoffre, 1925, p.357).
Ce paradoxe ouvre la voie à une nouvelle classification :
- Le pouvoir politique : pouvoir qui existe dans les provinces ou villes gouvernées soit par un seul, soit par plusieurs, selon certaines lois ou conventions ;
- Le pouvoir despotique : dont le pouvoir est illimité comme celui du maître sur l’esclave ;
- Le pouvoir royal : qui se situe entre les deux pouvoirs et dont le prince gouverne sans lois, mais sa liberté est sage. Le prince puise dans son cœur l’inspiration de ses actes et imite ainsi la province divine.
De toute façon, St Thomas d’Aquin a ses préférences pour le gouvernement monarchique. L’exercice royal du droit du monarque est comparable à l’action de Dieu.
La monarchie pourrait être pire si elle se détourne de sa fin : le bien commun. Pour lutter contre tout abus, le pouvoir devra arrêter le pouvoir. D’où, le gouvernement mixte : celui dans lequel sont conjoints la monarchie, l’aristocratie et le gouvernement populaire.
Le meilleur régime sera donc celui où un seul chef mis à la tête de l’Etat commande selon la loi de vertu ; où, selon la même loi de vertu, un certain nombre de magistrats intermédiaires concourront à l’administration ; où, enfin, tous les citoyens participent à la souveraineté comme électeurs, seront éligibles à toutes les magistratures, tant à la suprême qu’aux subordonnés.
On appellera roi celui qui administre le peuple d’une cité en vue de son bien commun. L’intention du roi doit être d’assurer le salut de ceux qu’il a entrepris de gouverner. Et, le bien et le salut de la société politique consiste dans la paix sans laquelle la vie sociale perd toute raison d’être. Celui qui gouverne un peuple doit avant tout se proposer de lui assurer l’unité dans la paix. En effet, si les hommes se réunissent, c’est pour bien vivre ensemble et parce qu’ils ne sauraient bien vivre en demeurant isolés. L’intention de tout homme qui gouverne devra être d’assurer le salut de ceux qu’il a entrepris de gouverner ; il devra avant tout se proposer de leur assurer l’unité dans la paix.