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Penser le monde avec Mwalimu Ladislas Kinyali

Tout est objet de reflexion. Seulement, il faut oser etre sage (Vita est sapere aude)! Mwalimu Ladislas Katsuba Kinyali est Licencié ès Lettres (Philosophie) et est Chef de Travaux depuis le 15 octobre 2006 (N/Réf. : 729/MINESU/CAB.MIN/LM/AB/2006). Il est fils ainé d’une grande famille chrétienne ; il est marié et père de trois enfants. Il fait actuellement un master en Politique Comparée et Africaine (2011-2013). Pour le contacter par téléphone, il faut l’appeler aux numéros : +243 998492735 et +243 817706666.

Elections et Etats africains jusqu’aux indépendances

Il existait en Afrique pré-coloniale des formations politiques centralisées, des États guerriers, des royaumes et même des Empires. Ces formations étaient, comme en Europe au même moment, de types aristocratiques ou monarchiques, donc en opposition au développement de la

démocratie. L’institution politique la plus courante dans les sociétés domestiques en Afrique était le discours politique. Elle réunissait les hommes d’âge mûre, excluait les femmes, les jeunes adultes, les esclaves et certaines castes, ainsi l’égalité sociale n’était pas respectée. La famille la plus anciennement établie jouissait souvent de la préséance. Mais le « principe du consensus tendait à égaliser les voix qui s’y exprimaient » (P. Yengo (sous la direction), 1997). Ainsi les africains ont disposé d’une expérience à partir de laquelle ils auraient pu construire leur propre modèle démocratique. Ce discours sur les fondements culturels ruraux‐paysans doit être relativisé ; il y avait, comme dans toutes les sociétés, une gestion locale par l’intermédiaire des aînés portant sur les affaires courantes. Mais, peut‐on réellement parler de démocratie ? Ce débat sur le rôle de ses usages n’est pas encore tranché par les historiens.

Pendant la colonisation ces usages ont été substitués par des administrations coloniales autoritaires, qui différaient légèrement d’un pays à l’autre ainsi que d’une métropole à l’autre. En effet, les français avaient mis en place une administration directe dans leurs colonies d’Afrique Noire, c'est‐à-dire, qu’elle permettait de pratiquer un gouvernement autoritaire par le biais d’agents venus de la métropole. Et ses colonies du Nord de l’Afrique étaient administrées théoriquement par leurs organes propres sous simple contrôle de la puissance coloniale, mais eux aussi ont connu un régime administratif centralisé, hiérarchisé et autoritaire. Toutes les institutions traditionnelles étaient doublées par des fonctionnaires français, lesquels dépendaient d'une administration centrale placée sous l'autorité d'un gouverneur ou d'un résident. Dans les colonies britanniques et belges, il y a été mis en place une administration indirecte, c'est‐à‐dire une administration dirigée par la métropole et où il y a été intégré des chefferies ou des aristocraties locales. Dans le fonctionnement, ces deux types de système présentaient des aspects différents, mais ont conduit à des résultats comparables.

Les chefferies et aristocraties locales étaient intégrées à l'appareil administratif colonial, mais ne remplissaient qu'un rôle subalterne et étaient dénuées d’autonomie d’action. Comme nous l’avons expliqué dans le paragraphe précédent, avec la montée des contestations africaines et internationales, les colonisateurs ont entrepris un processus de décolonisation. La première phase du processus consistait à insérer certains de ces mouvements de contestation dans les institutions, en créant des conseils d’africains élus ou en insérant des africains élus dans les conseils déjà existants. Il s’agissait de la première expérience électorale en Afrique, elle était très importante pour situer le commencement de l’apprentissage électoral, si on prend en considération la méthode préconisée par ’Yves Déloye (Yves Déloye, 2007). En effet, on ne nait pas électeur, mais on le devient, cela s’apprend. De plus, derrière la pratique du vote, il y a normalement, la conscience que seul le vote peut légitimer le gouvernement en place et ainsi éviter toute lutte sanglante pour le pouvoir. Mais cette conscience ne peut être totale qu’en répétant l’acte de vote à tel point qu’il devienne avec le temps un acte normal et ritualisé de la vie.

Ainsi, les anglais ont créés dans leurs colonies des « conseils législatifs » (A.A Mazrui (sous la direction), 1998). La composante de ces conseils a évolué, les majorités d’administrateurs blancs et de membres nommés ont fait place à des majorités d’africains et de membres élus. Cette démocratisation s’est réalisée à mesure que se précisait la perspective de l’autonomie, puis d’indépendance. Ainsi, les dernières années du régime colonial ont consisté à transférer, en quelque sorte, leur modèle de gouvernement métropolitain dans leurs territoires coloniaux (Excepté en Tanzanie). Ce modèle suppose le multipartisme, par là une concurrence électorale entre les partis et la mise en place d’embryons parlementaires africains. Alors nous assistons donc, sous le contrôle de l’administration coloniale, à une première expérience politique dans le cadre d’un régime parlementaire, avec parfois des structures fédérales. Cela s’est déroulé pratiquement dans toutes les colonies africaines françaises, anglaises et belges.

Au moment des indépendances, l’histoire s’accélère, la plupart des mouvements de revendication se sont constitués en partis politiques lors du processus de décolonisation. C’est une situation qui a fait « naître un nouvel esprit étroitement particulariste, chacun prenant notamment plus conscience de soi et des autres dans ce climat d’affrontement » (A.A Mazrui (sous la direction), 1998). Des élections pluralistes sont organisées peu de temps avant le départ des colons, donnant lieux à des régimes présidentiels ou monarchiques parlementaires, où nous assistons alors à deux scénarios.

Dans le premier cas, les élections sont devenues des facteurs de radicalisation de l’opinion publique, avec dans bien des pays une radicalisation des pensées au niveau ethnique ou territorial. Nous pouvons citer comme exemple le Burundi ou encore le Rwanda avec la radicalisation des partis, où il s’est formé des partis avec comme critère l’appartenance ethnique. Les deux partis principaux au Rwanda étaient le PARMEHUTU et l’Union Nationale Rwandaise (UNAR), ils recoupaient une appartenance ethnique ainsi que sa domination sur le pouvoir légué par les colonisateurs. Au final, les élections législatives de septembre 1961 ont donné lieu à une large victoire du PARMEHUTU qui a totalisé 78% des voix contre 17% pour l’UNAR.

Ces résultats électoraux sont comparables aux réalités ethniques[1], et montre que l’opinion publique prend part à cette radicalisation. On peut alors aller plus loin dans l’analyse, en mettant en lumière que dans cette ethnicisation de la politique, la démocratie ne peut être garantie, car elle ne permet pas le renouvellement des élites gouvernantes et conduit cette « lutte pacifique » pour le pouvoir à des tensions, même à des massacres pouvant donner lieu à des guerres civiles. En général, les élites politiques se sont recentrées bien souvent sur des bases ethniques ou régionales pour mobiliser des partisans dans leur course au pouvoir. Nous voyons cela avec l’émergence de nouveaux partis pratiquement sur tout le continent africain, ayant comme fondement ses bases ci‐dessus, par exemple le Nothern People Congress (NPC) et l’Action Group (AG) au Nigéria, ou le Kebake Yekka (KY) et le Democratic Parti (DP) en Ouganda, ou encore la Confédération des Associations Tribales du Katanga (KONAKAT) au Congo Zaïre.

Le deuxième comportement qui découle de l’indépendance et des élections est un comportement plus en adéquation avec le système démocratique. C’est un schéma où l’on reconnait l’autre, et où les partis voulaient dépasser les appartenances territoriales et identitaires. Nous citons ici l’exemple du Nigéria et du Cameroun alors qu’ils ne formaient qu’un seul territoire, où il y avait cette volonté de vivre ensemble sur un même territoire sans aucune différenciation ethnique ou locale par l’intermédiaire de partis nationalistes voulant transcender les identités[2]. Il existait donc des partis dont l’audience s’étendait à tout un territoire et voulaient dépasser les appartenances locales et identitaires, mais ces partis étaient beaucoup moins répandus et la plupart d’entre eux sont revenus sur des bases ethniques et régionales. La radicalisation des comportements politiques a été un mouvement quasi général en Afrique et débouchera par la suite, dans la plupart des pays concernés, à des tensions pouvant conduire à des guerres civiles et/ou par des régimes autoritaires.

Les élections, dans beaucoup de pays se sont passées dans le calme avec un certain respect des procédures électorales établies et contrôlées par les administrations coloniales, comme la constitution de listes électorales, la mise en place de campagnes électorales, de bureaux de vote équipés d’isoloirs et d’urnes, d’un dépouillement transparent… Et dans d’autre pays, les résultats électoraux méritent une explication. Au Congo, les premières élections sont les législatives et ont lieu avant l’Indépendance en 1960. Elles laissèrent apparaître un parti dominant l’Union démocratique de défense des intérêts africains (UDDIA) avec a sa tête l’abbé Youlou, qui a remporté près de 85% des sièges et a laissé de côté ses principaux partis rivaux, le Parti progressiste congolais (PPC) et le Mouvement socialiste africain (MSA). Après cette large victoire, l’abbé Youlou décida alors de s’attaquer à ceux qui s’opposaient à sa victoire et déclencha des massacres. Alors les membres du MSA, impressionnés, décidèrent de se rallier à son mouvement. Au final, Seul candidat à la magistrature suprême, l'abbé Youlou est élu le 20 mars 1961 avec 97,56% des suffrages exprimés.

Cette élection ne peut être considérée comme une élection démocratique, car elle n’a pas respectée un des critères fondamentale de la démocratie : la concurrence électorale. Cette élection peut être analysée comme un « leurre » visant à légitimer le nouveau régime autoritaire, vis‐à‐vis de la communauté internationale.

Généralement, à la suite des élections du début des années 1960, les partis dominants dans la lutte contre les colonisateurs accèdent au pouvoir par le biais d’élections pluralistes. Souvent

sous la coupe de leaders charismatiques, comme par exemple Léopold Senghor pour le Sénégal, l’abbé Fulbert Youlou pour le Congo ou encore Tome Kenyatta pour le Kenya, la plupart de ces nouveaux États africains conserve un système politique unitaire au détriment du système fédéral.

Mais au lieu de déboucher sur une émergence de régimes démocratiques, comme le laissait supposer la vague de processus électoraux, il s’est ouvert une période qui la plupart du temps va conduire à un dépérissement spectaculaire des valeurs du pluralisme. A la suite des élections démocratiques postcoloniales, on assiste dans certains pays à des massacres ou à des guerres civiles, ayant pour but la sécession ou non d’un territoire, comme par exemple au Congo Belge, ou de prendre le pouvoir nouvellement acquis par l’opposition, ou encore pour conserver le pouvoir nouvellement acquis en utilisant la terreur. Par la suite, la personnalisation du pouvoir ainsi que la mise en place de partis uniques ou dominants ont sonné la fin momentanée du pluralisme. Toutefois cette personnalisation du pouvoir n’eut pas lieu seulement dans les pays touchés par la guerre civile ou des massacres ; dans certains cas, elle découlait de la décolonisation.

Aussi, nous pouvons distinguer cinq types de régimes postcoloniaux en Afrique (A.A Mazrui (sous la direction), 1998), qui ont tous en commun d’avoir hérité de corps de loi et des institutions judiciaires de l’ancienne métropole.

Tout d’abord, nous trouvons les régimes socialistes, comme par exemple en Egypte, au Ghana, en Tanzanie, en Guinée, au Mozambique, en Guinée Bissau, en Angola. Ensuite, il y a les régimes militaires, dont leur nombre varient selon les années. Ils prônaient des valeurs politiques se résumant à l’assujettissement par la force des armes et au rejet de la primauté du droit. Puis nous distinguons les régimes dits conservateurs, ils professaient foi et respect à l’égard de l’approche capitaliste du développement et de la construction de la nation. Mais ces régimes ont abandonné le libéralisme et la démocratie, qui vont normalement de paire avec cette approche, au profit d’un système fondé sur un parti unique ou un parti dominant et sur l’autocratie. Ils se sont établis dans de nombreux États comme par exemple, la Côte d’Ivoire, la Sierra Léone, le Cameroun, le Kenya, le Burundi, la Zambie, le Zaïre, le Malawi ou encore le Gabon.

Ces trois types de régimes postcoloniaux étaient les plus répandus sur le continent africain. Il existe aussi deux autres types systèmes politiques moins courant qui sont l’Apartheid[3] et les régimes où règnent les valeurs du pluralisme et de la démocratie. Nous en comptons cinq pays qui sont : la Gambie, le Botswana, le Sénégal, la Namibie, l’île Maurice.

Ainsi, dans le milieu des années 1960, la tendance s’affirmait pour les États à partis uniques ou à partis prépondérants. Cela est du au fait que dès l’indépendance les dirigeants des ces nouveaux États furent confrontés aux exigences premières de la Nation, c'est‐à‐dire instaurer l’unité entre les différents groupes hétérogènes vivant dans le pays, et de l’Etat, c'est‐à‐dire centraliser l’autorité politique. Pour surmonter ces défis, la majorité des africains ont estimé que la meilleur façon d’y arriver était de réunir toute la population dans un parti politique unique ou dominant, ce qui a conduit tout naturellement à des régimes autoritaires et autocratiques.

En d’autres termes, cette première approche généraliste montre que les élections organisées par les autorités coloniales, n’ont pas permis la mise en place de régimes démocratiques, encore moins d’aboutir à la civilisation électorale. Mais comme l’explique Yves Déloye, c’est une construction qui demande du temps et que chaque évènement électoral, même s’il n’est pas fait dans les règles même de la démocratie, doit être pris en compte dans le processus de la civilisation électorale. Ainsi ces premières élections, malgré les scénarios sanglants qui les suivirent ou les précédèrent, doivent être analysées au sein du processus comme une première électorale, constituant la base de la politique africaine avec notamment la naissance des premiers partis politiques.

[1] Au Rwanda, on distingue trois ethnies qui sont, les Hutu (84%), les Tutsi (15%) et les Twa (1%)

[2]Exemple du parti National Concil for Nigerian and Cameroons qui dépassait le concept identitaire. Mais

lorsque le Cameroun se sépara du Nigeria, il bâtit en retraite et devint un parti régional, semblable aux autres partis déjà existant et prônant une idéologie régionale.

[3]Ce régime politique est mis en place en Afrique de sud par les afrikaners. Il constitue un cas extrême de théorisation et de mis en œuvre de valeurs politiques monstrueuses.

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L
Les informations sont pertinentes,il est important de noter que l'organisation d'une telle élection se fait avec la plus grande attention pour que le résultat soit reconnu
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